Le Trio Atanassov, constitué du pianiste Pierre-Kaloyann Atanassov, du violoniste Perceval Gilles, et de la violoncelliste Sarah Sultan, s’est constitué par hasard en 2007 à l’occasion d’un engagement pour un festival dans les Cévennes alors que les trois musiciens suivaient leurs études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris mais sans avoir encore joué ensemble. Le concert s’étant bien passé, les trois étudiants désireux de se lancer dans un travail de fond et fort de la bonne entente qui s’était aussitôt installée entre eux, décidèrent d’intégrer le cursus supérieur de musique de chambre dans la classe d’Itamar Golan de ce même établissement.
Pierre-Kaloyann Atanassov, à quel moment le trio a-t-il été officiellement créé ?
Un mois ou deux après notre premier concert, nous nous étions inscrits à un concours international et il fallait indiquer le nom de notre formation. Tous les noms qui nous sont venus à l’esprit étaient déjà pris. Alors, la date limite approchant, nous nous sommes décidés à donner le nom de l’un de nous et c’est « Atanassov » qui a été choisi. Et le concours ayant été un succès, la question de changer de nom ne s’est plus vraiment posée ensuite.
Comment se sont déroulées les premières années ?
Nous avons rapidement donné des concerts et à la suite d’un nouveau partenariat entre le CNSM et l’ECMA, l’European Chamber Music Academy, basée à Vienne et fondée par l’altiste fondateur du Quatuor Alban Berg, Hatto Beyerle, et qui propose chaque année cinq à six masterclass d’une semaine dans des villes différentes, nous avons eu la chance de vivre des séjours en immersion totale en Autriche, en Allemagne, en Grande Bretagne, en Finlande, en Suisse… Cette expérience nous a permis de nous souder, de bénéficier d’un enseignement commun, de développer une même vision de la musique, ce qui a incontestablement forgé notre identité artistique. Une grande connivence s’est installée entre nous. Aujourd’hui, lorsque nous écoutons des interprétations d’autres trios, nous nous rendons compte que nos réactions sont semblables. Au cours des répétitions, nous discutons de qu’on doit faire ressortir, ici une voix, là un rythme, ailleurs une harmonie et là encore nous constatons à chaque fois que nous avons la même compréhension de la partition.
Vous avez enregistré trois CDs dont deux sont consacrés au répertoire tchèque. Comment vous est venue l’envie d’interpréter ce répertoire ?
Il est vrai que Dvořák n’a jamais quitté nos programmes de concert bien longtemps, et nous avons joué et rejoué l’intégralité de son œuvre pour trio avec un plaisir et un émerveillement jamais émoussés devant tant d’inspiration. Dvořák est un compositeur qui nous touche beaucoup. Il est un bon équilibre entre l’âme sensible, narrative assez typique de l’Europe centrale et le souci de la structure chère à la culture germanique dont Dvořák était pétri. Dvořák avait par ailleurs une affection particulière pour Schubert et il s’en réclamait. Lors de notre tout premier concert, nous avions joué le trio Dumky de Dvořák. Quand, en 2012, notre agent en Allemagne nous a mis en contact avec le label Hänssler Classic pour enregistrer un CD, nous avons proposé ce trio Dumky mais il était déjà dans leur catalogue. Alors nous nous sommes tournés vers le 3ème trio de Dvořák que nous n’avions jamais joué et dont nous ne soupçonnions pas la difficulté. Après huit mois de travail, de digestion pourrait-on dire, après l’avoir interprété une quinzaine de fois en concert, nous l’avons enregistré en le couplant au trio de Smetana. Le CD a eu de très bonnes critiques et a été récompensé par un Diapason d’Or. Après un deuxième disque consacré à la musique française, nous savions qu’un jour où l’autre nous reviendrions à nos amours de jeunesse en enregistrant le trio Dumky. C’est aujourd’hui chose faite, l’enregistrement va paraître le 14 octobre prochain chez le label Paraty. C’est l’aspect narratif de la musique de Dvořák, particulièrement évident dans le trio Dumky, qui nous a conduits à appeler ce nouveau CD Bohemian Rhapsodies.
A présent que votre troisième CD sort le 14 octobre, quels sont vos projets ?
L’un de nos nouveaux projets s’intitule : folklore imaginaire. L’idée est partie d’une transcription de la Suite de Danses de Bartók, initialement pour orchestre, transcription réalisée par Perceval Gilles, le violoniste du trio. Notre caractéristique est de chercher un répertoire qui sort des sentiers battus et renouvelle la sonorité de cette formation. Nous avons trouvé des œuvres qui entrent en résonance avec la démarche artistique de Bartok, à savoir l’utilisation d’un matériau populaire (ou à l’imitation de celui-ci) pour faire de la musique savante. Nous avons mis à notre programme les Quatre mouvements pour trio avec piano de Bright Sheng compositeur sino-américain qui vit aux USA et se réclame de la démarche de Bartók en intégrant des mélodies dans le style populaire chinois à un traitement des instruments très novateur, ainsi que le Trio sur des mélodies irlandaises de Frank Martin. La formation « trio » est connotée musique bourgeoise du XIXème siècle, et là nous sortons de ce cadre par un projet qui emmène les auditeurs hors des frontières de l’Europe occidentale.
Sur scène, ce qu’entendent les musiciens est très différent de ce qu’entend le public. C’est une question d’acoustique. Comment les musiciens peuvent-ils alors s’adapter pour que les spectateurs perçoivent l’interprétation telle qu’elle a été construite ?
Au début, une oreille extérieure et des enregistrements nous guident puis on développe une écoute qui permet de savoir exactement comment cela sonne dans la salle. En 2009, nous avions été contactés par Charlotte Thoreau La Salle qui, au CNSM, faisait un mémoire de fin d’études intitulé Confort d’écoute entre les musiciens classiques sur scène : Enjeux acoustiques. Il s’agissait pour nous d’apprendre à placer le piano, à placer les cordes sachant que si la place choisie pour le piano obligeait les cordes à mal se positionner, des compromis s’imposaient. Nous avons découvert cette recherche et cela nous a plongé dans des abîmes de réflexion… au grand désespoir des régisseurs qui nous voyait passer, au lieu des cinq à dix minutes habituelles, près d’une heure pour déterminer nos emplacements exacts. Maintenant nous allons plus vite et nous arrivons facilement à imaginer ce que le public entend. Mais il est vrai que les problèmes d’acoustique sont très importants. Lorsque nous avons enregistré notre dernier CD, nous avons collaboré avec Cyrille Métivier, un ingénieur du son que nous avions rencontré au CNSM mais avec qui nous n’avions jamais travaillé auparavant. Il nous a suggéré de placer les cordes face au piano et non face au public comme lors des concerts. Nous avons essayé et effectivement cela était très intéressant, notamment concernant la netteté du violoncelle. Malheureusement, cette disposition et le changement acoustique que cela produisait me perturbait énormément. Comme il n’était pas question que je modifie dans l’instant mon toucher, il a fallu trouver un bon compromis en gardant les qualités mises en avant par l’ingénieur du son tout en maintenant la disposition traditionnelle des cordes dos au piano. Cela a pris cinq heures de balance !
Après la crise sanitaire que nous avons vécue, le public revient-il facilement au concert ?
C’est compliqué. A la Schubertiade de Sceaux que j’organise, une baisse de la fréquentation a été enregistrée l’an passé, baisse similaire à celle des autres festivals. Mais nous espérons que petit à petit le public reviendra aussi nombreux que par le passé. Pour aider un peu les choses, nous avons eu l’idée, pour notre part, de créer un spectacle à la fois instructif, divertissant et émouvant autour de Dvořák avec un travail de mise en scène. Le spectacle s’intitule Dvořák, un enfant de Bohême et, comme il est conçu pour les petits et les moins petits, on peut dire qu’il s’adresse à un public de « 8 à 88 ans ». Tour à tour interprètes et comédiens, nous racontons la vie de Dvořák en jouant nos propres personnages, sauf ici ou là, où nous incarnons Dvořák ou son éditeur. Nous l’avons donné à trois reprises et les échos ont été à chaque fois très enthousiastes. Un visuel avec des captations que nous avons réalisées sera bientôt disponible.
Propos recueillis par Frédéric Boucher, pour Concerts-Expos, 7 octobre 2022
Pour plus de renseignements sur le Trio Atanassov, n’hésitez pas à consulter leur site très documenté : https://www.trioatanassov.com/
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