Brahms et Schumann sont au programme du premier CD d’Elena Fischer-Dieskau. Sans détailler le parcours de cette jeune pianiste, rappelons seulement qu’elle a étudié pendant trois ans à l’Institut Peabody de l’Université John Hopkins de Baltimore auprès de Leon Fleisher, et, à l’écoute de cet enregistrement, il semble évident que Fleisher n’a pu qu’être heureux de découvrir en cette jeune artiste le terreau idéal pour transmettre la quintessence de son art, et que, de son côté, l’étudiante musicienne a trouvé en Fleisher le maître qui lui correspondait exactement pour préciser les orientations artistiques qu’elle portait déjà au plus profond d’elle-même.
Ce CD regroupe des œuvres de Brahms et de Schumann maintes fois enregistrées, et ce pari audacieux de la part d’une jeune artiste tout juste trentenaire de leur consacrer son premier CD pouvait susciter quelques craintes heureusement très vite dissipées.
Ce sont les sept Fantaisies op.116 de Brahms qui forment la première partie. Aussitôt, on entend une pianiste qui interprète ces poèmes pour piano avec une grande connaissance de l’esprit brahmsien. L’écriture spécifique de chacune de ces pièces est parfaitement maîtrisée pour recréer avec subtilité ces atmosphères si particulières qui voient la puissance alterner avec le mystère et dont la densité est toujours exempte de lourdeur.
En deuxième partie viennent les Kreisleriana, dont le style diffère complètement du recueil de Brahms, et qui furent écrites au moment où Schumann brûlait d’un amour ardent pour Clara. Mais cette passion amoureuse ne l’a pas entraîné vers une expression sentimentale, elle lui a servi en revanche à stimuler son inspiration et son énergie créatrice : « j’ai quelquefois l’impression que je vais éclater en musique, tant les idées se pressent et bouillonnent en moi. » écrit le compositeur à sa bien-aimée au moment de la composition de cette œuvre. Elena Fischer-Dieskau réussit ce tour de force de mettre en valeur l’écriture polyphonique toujours très dense chez Schumann sans négliger le discours narratif essentiel qui nous emmène dans un imaginaire tourmenté, impétueux, poétique. Les tempi sont parfaits. La très belle sonorité de cette pianiste et son art de conduire les phrases avec raffinement mais sans maniérisme est toujours au service de l’expression de l’univers lyrique, exalté, onirique qui prend sa source dans cette littérature romantique allemande chère à Schumann, où se mêlent le mysticisme et le relation étroite avec la nature d’un Novalis, le lyrisme d’un Hölderlin, le fantastique d’un Tieck, l’ironie d’un Jean-Paul (Richter) et l’étrange, le fantasque et le burlesque d’un Hoffmann à qui Schumann fait référence dans le titre de son œuvre.
Le CD se conclut avec les deux Rhapsodies op.79 de Brahms. Elena Fischer-Dieskau prend garde à ne pas les jouer à la Schumann et leur donne avec énergie et finesse cette couleur si typiquement brahmsienne où l’emportement n’est pas l’exaltation, où le secret le plus profond n’est jamais angoissé.
Frédéric Boucher, pour Les Chroniques de France Classique, 12 juillet 2021
(reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’association France Classique)
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