Il est des interprètes discrets, immergés dans leurs activités musicales, à mille lieux de plans de communication sophistiqués, peu présents dans les médias, mais dont le dynamisme et un talent hors du commun les placent au premier rang de l’élite artistique. Cyril Huvé est de ceux-là.
Résumer la carrière de Cyril Huvé en quelques lignes est une gageure. Il étudie le piano avec une répétitrice de Marguerite Long puis avec André Krust. Le premier concert auquel il assiste – il a huit ans – est un récital de Claudio Arrau au Théâtre des Champs-Elysées. On ne pouvait rêver meilleure initiation ! Puis il découvre le monde de l’orchestre avec l’Orchestre National de France dirigé alors par Jean Martinon et écoute avec passion au début des années 70 les répétitions et les concerts de Sergiu Celibidache lors de son bref passage à la tête de ce même orchestre. Le baccalauréat en poche, il entre en classes préparatoires littéraires puis, au moment d’entrer à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, il présente, aiguillé par Pierre Barbizet, le concours d’entrée au CNSM où il est admis dans la classe de Dominique Merlet. Il passe dans le même temps une licence de philosophie et réussit à suivre des stages avec l’assistant de Claudio Arrau avant d’être finalement présenté au maître. Arrau l’écoute dans la Deuxième Ballade de Liszt et lui propose de le retrouver régulièrement lors de ses tournées pour le faire travailler. Cyril Huvé parcourt l’Europe et se rend même aux États-Unis pour bénéficier des conseils d’Arrau qui dira de lui qu’il est un de ses meilleurs continuateurs. Cyril Huvé est également apprécié de Georges Cziffra qui l’accueille à de nombreuses reprises à Senlis, et, au cours d’après-midi entières, lui fait répéter ses programmes en boucle pour à chaque fois peaufiner tel ou tel détail. Si Cziffra et Arrau avaient des méthodes pédagogiques radicalement différentes, leurs visions musicales étaient assez semblables dans le sens où ils étaient l’un et l’autre, par des moyens certes différents, des héritiers de la grande tradition romantique. Et ces deux approches aidèrent le jeune Cyril Huvé à affirmer sa propre personnalité.
Son prix de piano en poche, Cyril Huvé commence sa carrière. Mais une carrière multiple !
Passionné par l’enseignement, il est professeur au Conservatoire Régional de Dijon puis est appelé par Gérard Frémy pour être son assistant au CNSM de Paris. Par ailleurs, il enseigne plusieurs années de suite à l’Académie de la Chaise-Dieu et donne régulièrement des master class.
Soucieux d’élargir le public de la musique classique, il part à la rencontre des jeunes générations, dans les écoles, lycées, IUT, créé et dirige, en dehors des grandes villes, de nombreuses associations et festivals : les Rencontres d’Arc-et-Senans, les Rencontres de Cluny, le Festival Automne Musical, Mi-temps Classic, Musiciens Ensemble, Pentecôte en Berry, la Grange aux pianos… avec une programmation de haut vol puisque y participeront Martha Argerich, Paul Badura-Skoda, Brigitte Engerer, Jean-Marc Luisada, Michel Dalberto, David Lively, Henri Barda, Jean-Philippe Collard, Jean Mouillère, Michel Portal, Maurice Bourgue, le trio Wanderer, le quatuor Talich, le quatuor Debussy, le trio Grimal-Gastinel-Cassard…
Quant à son activité de pianiste, elle est débordante : les orchestres l’invitent, les festivals l’accueillent, il joue en Angleterre, en Allemagne, en Moldavie, aux Etats-Unis, au Japon… En musique de chambre, ses partenaires sont Gérard Caussé, le quatuor Via Nova, le quatuor Diotima, André Cazalet, Michel Lethiec, François Poly, Patrick Cohen-Akenine… Et les enregistrements attestent de cette énergie et de cet appétit de découvertes. D’abord un CD Busoni en 1985, puis l’intégrale des Lieder de Liszt pour lequel Cyril Huvé décide d’utiliser un piano d’époque, un Broadwood de 1840. L’instrument le fascine au point que l’interprétation sur pianoforte s’impose désormais à lui. Sa version des Ballades et Scherzos de Chopin sur deux pianos différents, un Pleyel de 1827 et un Erard de 1837, est remarquée par Classica. Un CD Liszt (Paraphrases sur des opéras de Verdi, Après une lecture du Dante) lui vaut un Choc du Monde de la Musique en 2001. Victoire de la musique en 2006 en tant que soliste instrumental, il est à nouveau lauréat en 2010 pour son CD Mendelssohn qui lui a valu un nouveau Choc de Classica. Parallèlement, il publie de nombreux CDs de piano ou de musique de chambre consacrés à Beethoven (une intégrale des sonates pour violon et piano avec Jorja Fleezanis), Schubert, Liszt, Brahms, Ligeti…
L’exploration de nouveaux horizons, le besoin de comprendre et de transmettre sont au cœur de la vie de Cyril Huvé. En 1980, il co-traduit Chemin vers la nouvelle musique, un recueil de conférences d’Anton Webern. En 1984, un article sous forme de conversation avec Pierre Bourdieu paru dans un premier temps dans Le Monde de la musique est intégré au livre du sociologue Questions de sociologie. Dans les années 90, lors d’un récital au Festival de la Chaise-Dieu, il fait découvrir au public les œuvres d’Hélène de Montgeroult, compositrice alors tombée complètement dans l’oubli. Par ailleurs la musique contemporaine l’attire et il joue, au sein d’un trio constitué avec le corniste André Cazalet, et le violoniste Guy Comentale, un trio de Ligeti qui sera d’ailleurs enregistré, couplé avec celui de Brahms. En 2005, il crée Ruines circulaires de Michèle Reverdy sur un texte de Jorge Luis Borges, commande passée pour des spectacles autour du mélodrame romantique avec le comédien Daniel Mesguich. Dans le cadre d’un de ses festivals, il organise au début des années 2000 à Châteauroux un week-end Dutilleux en présence du compositeur et son épouse, Geneviève Joy-Dutilleux. Son intérêt pour les pianos anciens ne lui fait pas ignorer les récentes avancées de la facture instrumentale et, il y a quatre ans, il enregistre sur le nouveau piano, l’ « opus 102 », construit par Stephen Paulello, un CD Liszt-Debussy.
Aujourd’hui, si Pentecôte en Berry et la Grange aux pianos connaissent un succès sans précédent, Cyril Huvé se consacre avec la même ardeur à son activité de pianiste comme en témoignent son interprétation en octobre 2019 à Vincennes des Variations Diabelli de Beethoven, œuvre colossale qu’il redonnera dans de nombreux lieux dès que la situation sanitaire permettra la reprise des concerts, et son dernier CD des sonates « à titre » de Beethoven. Cet enregistrement est aussitôt salué par la critique : dans Diapason, Patrick Szersnovicz lui attribue les 5 diapasons et loue « une lecture de haut vol », « une grande pureté du style », « l’ampleur, l’intégrité, la profondeur » ; Pierre-Jean Tribot dans Crescendo-magazine note « la hauteur de vue de Cyril Huvé qui créé un univers à la mesure des couleurs de ces instruments », vante ses choix de tempi « qui font briller les dynamiques et lui permettent de narrer des histoires profondes. »
Une des caractéristiques reconnues du jeu de Cyril Huvé est, grâce à un grand art des plans sonores et un toucher à la fois dense et subtil, de savoir utiliser les spécificités de chaque instrument afin de traduire de la meilleure manière possible les œuvres dont il a longuement mûri l’interprétation mais tout en étant constamment stimulé par les sonorités propres à chaque piano.
Frédéric Boucher, pour aubonheurdupiano.com, 22 janvier 2021
Entendre ce que l’ on n’ avait jamais entendu bien qu’écouté cent fois
L’ art de l’ interprète, mêlé de sa sensibilité et de ses connaissances acquises
Merci M Huvé
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