Tout comme certains peuvent « regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages », on peut avoir la nostalgie de l’époque où, en l’absence de Youtube, de CDs, de disques vinyles, de la radio et de la télévision, on s’installait dans le salon autour du piano, les uns avec leur violon, les autres avec leur alto, leur violoncelle, d’autres encore avec leur flûte, leur clarinette pour faire musique, « Musik machen » pour reprendre la délicieuse expression allemande.
Rappelons-nous qu’il y a un peu plus d’un siècle, un mélomane ne pouvait écouter des opéras, des symphonies et des concertos qu’en fonction de la programmation des théâtres. Il était alors impossible d’avoir entendu au cours d’une existence, fût-elle longue, tous les opéras, toutes les symphonies, tous les concertos des plus grands compositeurs. Le seul moyen de prendre connaissance de ces chefs d’œuvres était de les jouer chez soi, entre soi, par l’intermédiaire des transcriptions. Transcriptions pour piano seul, pour piano à quatre mains, ou pour petits ensembles. A défaut de goûter les saveurs de la coloration orchestrale, le mélomane y trouvait plusieurs avantages : la nécessité à nombre d’entre eux d’apprendre à jouer d’un instrument, une compréhension des œuvres plus profondes car jouer soi-même est toujours plus enrichissant qu’une simple audition passive dans une salle de concert. Par ailleurs, des professionnels talentueux mais sans génie y trouvaient aussi leur compte, qui gagnaient leur vie en transcrivant à qui mieux mieux et pour toutes les formations possibles toutes les œuvres présentes ou passées.
On sait que Liszt sauta sur l’occasion, mais lui avec génie, pour réaliser des transcriptions ébouriffantes pour piano seul des symphonies de Beethoven, de la symphonie fantastique de Berlioz, d’extraits d’opéras de Bellini, Verdi et Wagner et qu’ainsi il diffusa ces œuvres nouvelles afin de les faire connaître au public. Le jeune Debussy se plia également à l’exercice, transcrivant pour piano à quatre mains des pages de Tchaïkovsky.
Ce disque sorti chez Naxos nous rappelle cette époque révolue. Deux concertos pour piano de Mozart, les n°8 et 23, dans une transcription pour quintette à cordes et piano, et des extraits de la Flûte enchantée composent cet enregistrement qui recrée magnifiquement ce charme des temps anciens. Le piano de Didier Castell-Jacomin qui sait être à la fois doux et profond, chantant et sobre, donne envie que d’autres concertos nous soient bientôt proposés avec ce musicien si mozartien, qualité rare de nos jours. En attendant, on peut retrouver ce pianiste avec le Quatuor des Solistes d’Avignon le samedi 21 septembre prochain à l’Auditorium Jean-Pierre Miquel de Vincennes (infos ici).
Frédéric Boucher, pour aubonheurdupiano.com, 12 septembre 2019
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