Si la musique contemporaine est hermétique à beaucoup de mélomanes, c’est un peu parce que nos oreilles ne sont plus en lien avec notre aujourd’hui. L’imagination des créateurs est nourrie du monde dans lequel ils vivent et c’est en cherchant à mettre en adéquation notre présent avec leur inspiration que nous pourrons alors recevoir leurs œuvres avec intérêt et émotion. En 2019, ne peuvent naître dans le cerveau des compositeurs des Concertos Brandebourgeois, des Kreisleriana, des Préludes à l’Après-midi d’un faune… Même si cela peut paraître un peu naïf de le présenter aussi abruptement, mais il est clair qu’il n’est pas possible d’attendre du Bach après Franz Kafka, Max Ernst, Alban Berg, les massacres des deux guerres mondiales et l’horreur des camps de concentration, ni du Schumann après Bertold Brecht, Gustav Klimt, Olivier Messiaen et dans un univers international mondialisé, ni du Debussy après Albert Camus, Henri Dutilleux, Pierre Soulages et à l’époque de l’électronique et des satellites. L’esthétique actuelle, modelée par les évolutions culturelles et les bouleversements historiques n’est forcément plus celle des musiciens d’autrefois.
Karol Beffa est un compositeur qui, au cours des dernières années, a acquis une place de choix dans le monde musical contemporain. Ses études sur Ligeti l’ont certainement influencé à moins que ce ne soit plutôt son instinct musical qui l’ait rapproché du compositeur hongrois. Mais Karol Beffa compose une musique qui lui est très personnelle et les Douze études écrites en 2000 et 2011 sont interprétées ici par Tristan Pfaff avec un sens de l’architecture et un art des couleurs qui font merveille (Ad Vitam records).
Les compositrices Sofia Gubaidulina, Geghuni Chitchyan, Kaija Saariaho et Raquel Quiaro sont, exceptée la première, inconnues du grand public et c’est une excellente initiative que d’avoir regroupé sur un même disque (chez lbs classical) des œuvres de ces musiciennes inspirées, écrites entre 1965 et 2007 et dont la diversité des styles permet de découvrir des univers très variés. C’est Sofya Melikyan qui interprète ces pièces avec une sensibilité poétique et passionnée que j’avais déjà beaucoup appréciée dans son précédent CD (chez et’cetera) consacré à des œuvres de Granados et Mompou.
Ces deux CDs confortent mon opinion que l’interprétation des œuvres contemporaines a beaucoup évolué ces dernières années. Les musiciens de la génération précédente paraissaient envisager la musique récente un peu comme une succession de diapositives dont le lien purement intellectuel échappait quelque peu à l’auditeur. Or, depuis quelques temps, il me semble que les interprètes s’attachent davantage à l’unité narrative – tout en restant très attachées aux jeux de sonorité – et cette conception modifie favorablement notre écoute.
Frédéric Boucher, pour aubonheurdupiano.com, 14 mars 2019
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