Le clavecin, détrôné par le piano dans la deuxième moitié du XVIII siècle, a été oublié pendant près d’un siècle avant d’être redécouvert par des passionnés à la fin du XIXème. Mais c’est à Wanda Landowska que l’on doit de lui avoir redonné ses lettres de noblesse auprès du grand public et des compositeurs. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, le courant baroque a remis à l’honneur le clavecin historique et un grand nombre de clavecinistes sont alors apparus sur la scène internationale pour faire vivre les magnifiques œuvres qui ont été écrites pour cet instrument.
La sonorité du clavecin a suscité des remarques particulièrement sarcastiques. On se souvient de la « machine à coudre » qu’évoquait Colette et de la boutade du chef d’orchestre Sir Thomas Beecham que nous tairons afin de ne pas choquer les oreilles chastes de nos jeunes lectrices.
La richesse de ses harmoniques (ces sons qui émanent des résonances), l’utilisation des différents registres, la variété des timbres (le caractère incisif des aigus, la chaleur des graves…) donnent à cet instrument un riche pouvoir expressif et un charme envoûtant qu’on ne devrait pas chercher à comparer à son arrogant successeur.
Après avoir déjà gravé il y a près de quarante ans une intégrale Couperin, Blandine Verlet a réenregistré en 2011 des pages de Couperin. Et voici que sort aujourd’hui même, de nouveau chez Aparté, une nouvelle anthologie de pièces de Couperin issues du Livre III de 1722 et une pièce, La Favorite, extraite du livre I de 1713.
François Couperin (1668-1733) fut organiste de l’Eglise Saint-Gervais à Paris, musicien du Roi et professeur de musique de ses enfants. Malgré une santé précaire, il laisse une œuvre importante comportant un grand nombre d’œuvres vocales (dont les célèbres Leçons de ténèbres pour le Mercredi saint), d’œuvres instrumentales (Les Concerts Royaux, Les Nations) et deux cent quarante pièces pour clavecin seul groupées en vingt-sept ordres (ou suites) réparties en quatre « Livres ».
Ses pièces pour clavecin sont des petits tableaux dans lesquels l’humour, l’amertume, la satire, l’esprit champêtre, la mélancolie, la douleur sont exprimés dans un langage novateur, synthèse de différents styles, d’une profonde poésie. « D’un œil supérieur et ironique, écrit si justement Norbert Dufourcq, Couperin a regardé, dominé et jugé la société versaillaise et parisienne, se penchant sur elle avec esprit sans doute, mais aussi avec cette mélancolie qui évoque l’angoisse de l’homme malade et des temps de crise qu’il lui fut donné de vivre ».
Ce disque nous propose pour commencer les cinq pièces du 13ème Ordre , dont la quatrième, les Folies françaises ou Les Dominos, « minuscule « traité des passions« » pour reprendre la formule de Guy Sacre, ne doit pas nous faire oublier les autres dont la magnifique
troisième L’Engageante et la bouleversante dernière pièce L’Âme-en-peine. Viennent ensuite les sept pièces du 18ème Ordre avec des pages célèbres comme La Verneuil, Sœur Monique, Le Tic-toc choc ou Les Maillotins qu’entourent des pièces d’une grande poésie comme L’Attendrissante ou amusantes comme Le Turbulent et la dernière Le Gaillard boiteux. Le CD se termine par La Favorite extraite du 3ème Ordre, chaconne en rondeau dont le retour du refrain, comme le dit Guy Sacre, « semble à chaque fois plonger la pièce plus profond dans les ténèbres et l’affliction ».
Blandine Verlet, pour qui le clavecin n’a plus de secret et qui sait allier respect musicologique de ces textes et fantaisie naturelle, offre avec ces pages si particulières un moment hors du temps où sa personnalité s’exprime avec délectation, dans tes tempi posés, à travers l’univers si original et si poétique de Couperin.
Frédéric Boucher, pour Au bonheur du piano, 26 janvier 2018
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