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Fauré par le pianiste Philippe Cassard et l’Orchestre National de Lorraine dirigé par Jacques Mercier

« Dans une langue qui ne vise pas à l’étonnement, sans souci de forcer l’attention, Fauré a enfermé des chefs-d’œuvre d’une surprenante et durable nouveauté. » Ainsi s’exprimait Alfred Cortot en octobre 1922 dans un numéro spécial Fauré de la Revue musicale. Quatre-vingt-quinze années plus tard, cette « surprenante et durable nouveauté » semble avoir encore quelques difficultés à être appréciée à sa juste valeur.

Aussi, ne pouvons-nous que saluer le dernier CD, chez La Dolce Volta, de Philippe Cassard, entouré de l’Orchestre National de Lorraine dirigé par Jacques Mercier, et qui est marqué par le double sceau du charme et l’intelligence.

L’alternance heureuse entre les pages pour piano et orchestre, celles pour piano seul et celles pour orchestre seul, procure à l’auditeur un intérêt constamment renouvelé. La présentation quasiment chronologique des œuvres proposées permet de suivre et de mieux comprendre l’évolution du langage fauréen, de la Ballade pour piano et orchestre écrite à trente-quatre ans jusqu’à la Fantaisie, écrite à soixante-treize ans, Fantaisie pour piano et orchestre également, donnant ainsi à ce CD une judicieuse symétrie.

Le charme des thèmes, la souplesse du rythme balancé, la délicatesse des aigus et le plaisir sensuel des harmonies sont quelques-unes des caractéristiques du style des premières œuvres de Fauré. Ainsi, la Ballade op.19 nous plonge-t-elle aussitôt dans un monde onirique enchanteur tout comme les deuxième et quatrième Nocturnes, où  l’influence de Chopin, Saint-Saëns et Massenet transparaît ici et là malgré un style déjà bien affirmé et envoûtant.

Si le monde de Fauré est avant tout celui du piano, de la mélodie et de la musique de chambre, ses œuvres pour orchestre, quoique peu nombreuses, comportent cependant quelques pages particulièrement réussies. La suite de Pelléas et Mélisande –  musique de scène écrite pour des représentations théâtrales de la pièce de Maeterlinck – et qui comprend quatre morceaux, Prélude, Fileuse, Sicilienne, Molto Adagio (Mort de Mélisande), est une pièce maîtresse dans la production orchestrale de Fauré. Tout comme le Prélude de Pénélope – seul opéra de Fauré – et auquel le compositeur a  ajouté une coda pour qu’il puisse être joué indépendamment de l’opéra.

Les œuvres des dernières années de Fauré contrastent avec ses premières pages. Il ne s’agit pas toutefois d’un brusque changement de style mais d’une transformation progressive au fil des années, un peu comme la poésie qui, par différents courants, a elle aussi beaucoup évolué à la même époque. La construction des thèmes, les dissonances expressives et la « puissance solaire », pour reprendre l’excellente expression de Jacques Bonnaure, donnent à ces pièces une profondeur inégalée. On pense alors à la réflexion de Vladimir Jankélévitch dans Fauré et l’inexprimable : « la vision fauréenne n’est [….] pas ultra-sensible, comme celle de Debussy, mais plutôt supra-sensible : ce n’est pas une microscopie ni une vision suraiguë, mais c’est une lecture dans l’imperceptible et le surnaturel ».  Ecrit juste après la création de Pénélope, le onzième Nocturne marque ici le début de cette dernière période de l’œuvre de Fauré. Cet hommage à l’épouse du critique Pierre Lalo , « l’un des plus beaux tombeaux en musique jamais composés » comme le souligne Jean-Michel Nectoux, est une élégie d’où se dégage, malgré ou grâce à sa sobriété, une très forte émotion tout intériorisée.  La Fantaisie pour piano et orchestre op.111, composée en 1918, est elle aussi une page orchestrale de tout premier plan et son final est un des sommets de l’art fauréen. Comme l’explique Philippe Cassard dans le livret qui accompagne le CD, cette œuvre «  balaie les objections de ceux qui continuent de sous-estimer Gabriel Fauré. Cet aristocrate du phrasé, ce lyrique éperdu, cet amoureux de la poésie aura tracé un sillon affranchi des dogmes ». Le Fauré des dernières années est tout imprégné de cette profondeur qui a pu dérouter mais qui est la traduction d’une incomparable vie intérieure.

Jacques Mercier dirige son orchestre avec énergie, précision et clarté. Le toucher caressant et subtil de Philippe Cassard, maîtrisé par sa grande compréhension du texte, confère à cette interprétation un magnétisme fascinant. Là encore, tout n’est que charme et intelligence.

Frédéric Boucher, pour Au bonheur du piano, 17 novembre 2017

Philippe Cassard jouera le 1er décembre à la Salle Gaveau à Paris. Au programme, des œuvres de Mendelssohn (l’avant-dernier CD de Cassard était consacré à ce compositeur), Chopin, Brahms et Fauré.

Un commentaire sur “Fauré par le pianiste Philippe Cassard et l’Orchestre National de Lorraine dirigé par Jacques Mercier

  1. Pingback: Fauré par Philippe Cassard : charme et intelligence | Frédéric Boucher

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