Je préparais la rédaction de cet article lorsque j’appris que Lucienne Renaudin-Vary, la jeune trompettiste révélée aux Victoires de la Musique 2015, donnait un concert en Belgique sous la direction du maître. « Alors ? » lui demandai-je quelques jours plus tard. Lucienne était visiblement émue : « Vladimir Ashkenazy est une personne adorable, précieuse, admirable. Sa gentillesse n’a d’égal que son incroyable énergie ». A 80 ans, celui qui, il y a un peu plus d’un demi-siècle, enregistrait sous la direction de Lorin Maazel le fougueux 1er concerto de Tchaïkovski, n’a en effet pas pris une ride : sa passion pour la musique est intacte et sa volonté de la servir tout aussi impérieuse, il est toujours ce « moine-soldat de la musique » ainsi que le définissait si justement Philippe Cassard dans une récente émission sur France-Musique.
Né en 1937 en URSS, Ashkenazy commence le piano à six ans puis intègre l’Ecole Centrale de Moscou. Dans une interview qu’il accorde à Christian Düblin en 2015, Ashkenazy revient sur ses années d’apprentissage avec sa modestie habituelle : « J’ai eu de la chance d’avoir un don naturel pour jouer du piano » ; sa facilité à apprendre et à réaliser les traits les plus virtuoses, « c’était un cadeau de la nature ». C’est tout, il n’a pas l’intention d’en faire tout un plat. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est la musique. Il reconnaît par ailleurs n’avoir guère écouté les pianistes lorsqu’il était jeune, à part Richter évidemment dont il ne manquait aucun concert en raison de l’incroyable magnétisme qu’il exerçait sur lui, magnétisme dû à la dévotion complète et sincère que Richter vouait à son art. Ce qui l’a très vite passionné, ce sont les concerts symphoniques auxquels son premier professeur Anaïda Sumbatian l’encourageait à assister pour mieux comprendre la musique et mieux traduire les œuvres qu’il jouait au piano. Assister à six concerts symphoniques par semaine ne lui faisait pas peur. Insatiable curiosité ! Il étudie ensuite avec Boris Zemlyansky. « C’est grâce à Zemlyansky, je crois, explique-t-il à Jasper Parrott dans Par-delà les frontières, que la musique est devenue ma vie. Pour lui, c’était toujours une question de vie ou de mort. Je ne me rappelle plus précisément à quel point il donnait à ses leçons un tour philosophique – c’était pourtant ce qu’il faisait -, mais elles étaient inspirées et habitées par la certitude que ce que l’on faisait, ou ce que l’on essayait de faire, était d’une importance fondamentale, au sens strict ».
En 1955, il obtient un 2ème Prix au Concours Chopin de Varsovie. En 1956, il remporte le Premier Prix du Concours Reine Elisabeth de Belgique et revient en URSSS avec des valises pleines de partitions de Ravel et de Debussy inconnues dans la Russie d’alors. En 1962, il reçoit le Premier Prix du Concours Tchaïkovski. Un an plus tard il quitte l’URSS et s’installe en Occident. Sa carrière de pianiste est fulgurante.
En 1978, il s’essaye à la direction d’orchestre. Succès immédiat. Il sera directeur musical du London Philharmonic Orchestra, du Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin, de la Philharmonie tchèque, du NHK Symphony Orchestra de Tokyo et depuis 2009, il dirige l’Orchestre Symphonique de Sydney.
De toute cette vie musicalement si riche, de toute cette pléthore d’enregistrements, DECCA vient de publier, à l’occasion du 80ème anniversaire d’Ashkenazy, deux coffrets-rétrospectives de respectivement 46 et 56 CDs. Le premier comprend l’intégralité des enregistrements de concertos pour piano dont trois cycles des cinq concertos de Beethoven, deux cycles des concertos de Rachmaninoff, ceux de Prokofieff, Brahms, Bartok, Mozart… Le deuxième propose un choix d’enregistrements pour piano solo et musique de chambre avec André Prévin, Itzhak Perlman, Lynn Harrell et Elisabeth Söderström dans des œuvres de Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Schumann, Scriabine, Prokofieff, Rachmaninoff …
Alors qu’il a, ces derniers temps, un peu réduit ses concerts de piano, Vladimir Ashkenazy, après avoir enregistré en 2002 l’intégralité du Clavier bien tempéré, continue avec Bach et les six Suites françaises gravées en mars 2016 et avril 2017. Comme toujours, on retrouve son jeu extrêmement clair, ses tempi rapides et son toucher magique aussitôt reconnaissable. Comme l’écrit Benedict Hévry dans Resmusica, « Ashkenazy fonde son interprétation sur l’aura mélodique, la tension horizontale et la superposition polyphonique des lignes, dans un permanent souci de clarté et d’équilibre des voix et des mains. »
En tant que chef, un CD Tchaïkovski sort également en ce moment sous le label Deutsche Grammophon : le Concerto pour violon et diverses pièces pour violon et orchestre avec la jeune violoniste Esther Yoo et le Philharmonia Orchestra.
Frédéric Boucher, pour Au bonheur du piano, 20 octobre 2017
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